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vendredi 3 juillet 2015

Discours sur la misère, à la manière de Victor Hugo à la chambre des pairs






Messieurs,


Si je monte à la tribune aujourd’hui, c’est pour lancer un cri. Un cri d’indignation, un cri de colère et surtout un cri d’alerte ! Car il y a péril, messieurs ! Notre nation est au bord du gouffre et nous en sommes responsables. Pire, nous sommes coupables. Notre faute se change même en crime. Je ne jouerai pourtant pas le rôle du procureur mais celui de l’avocat. Car ceux dont je défendrai la cause sont abandonnés. Ils sont même montrés du doigt, enchaînés, dépouillés de tout et surtout de leur dignité. Ces hommes, ces femmes et ces enfants, ce sont les misérables. 


Oui, dans notre siècle de progrès, d’industrie et d’essor, il existe des traîne-misère, des malheureux qui croupissent dans des taudis ou dans la rue, qui n’ont pas un quignon de pain pour apaiser leur faim. Et que faisons-nous pour  eux ? Les aidons-nous ? Les défendons-nous ? Non, messieurs, nous les accablons !


Avant de parvenir jusqu’à cette auguste assemblée, j’ai cheminé dans la rue de Tournon et j’ai assisté à un affreux spectacle. Un homme, encore jeune,  le teint hâve, déguenillé, les pieds en sang, était encadré par deux gendarmes. Quel délit avait-il commis ? Avait-il dépouillé la veuve et l’orphelin ? Avait-il commis un crime ? Avait-il manqué de respect à la jolie duchesse à chapeau rose dont la berline était arrêtée en face de la caserne ? Non, messieurs ! Il avait sous le bras l’objet de son délit. Alors, quoi ? Etait-ce une arme ? Un portefeuille ? Un bijou ? Point de tout cela : c’était un pain ! Oui, messieurs, un de ces pains noirs, grossiers, mal cuits que les bons bourgeois dédaignent. Et il l’avait dérobé ! Ou plutôt la misère avait dicté son geste. Car le peuple a faim, messieurs, le peuple se meurt et la nation n’en a cure ! Au lieu de secourir le pauvre, elle l’emprisonne, elle l’envoie aux galères, elle l’humilie.


Mais viendra le jour où le pauvre relèvera la tête, se révoltera et ce jour-là, messieurs, la France tremblera ! Cet homme traité comme un criminel osera croiser le regard de la duchesse engoncée dans ses dentelles et ses fourrures, se redressera sous l’injure du bourgeois et du patron et se souviendra que ses pères ont fait la Révolution !

Alors, messieurs, il faut agir avant que la France ne se déchire encore. Il faut appliquer dans les lois les droits de l’homme et pratiquer une vertu oubliée : la charité. Mais la charité n’est pas l’aumône. Elle est la justice, l’équité pour tous. Il est urgent de créer une vraie assistance publique, de répartir les richesses, d’instruire et de loger décemment le peuple. Il vous le rendra au centuple et vous donnera une France prospère, juste et fraternelle. Votre première tâche sera de réformer la justice, de rendre les peines proportionnées aux délits. Un misérable voleur de pain n’a pas sa place au bagne ! Donnez-lui du travail, instruisez-le, logez-le et il deviendra un bon père de famille, un bon citoyen.


Voyez-vous, messieurs, ce soir, en rentrant chez moi, je ne pourrai pas dîner en paix. J’aurai devant les yeux ce malheureux que l’on va enchaîner. Et vous, pourrez-vous dîner tranquillement ?

Céline Roumégoux